T’as fatigué la salade?
2019
robes de chambre, contenants céramique, suspensions pour vêtements, insectes et poisson en céramique
Project nominated for the Swiss Design Awards 2019
swiss design awards 2019
Bloquer les pattes devenues toutes flasques.
Balancer le poids du corps de l’une à l’autre.
Faire comme l’oiseau.
Vaincre le jetlag mais surtout comment dormir sans se noyer?
La nuit de 8 heures de sommeil, bloc monophasique en rétrécissement permanent, est apparue à la fin du 17ème siècle. Une nuit d’une traite, ouverte sur un ciel presque vide, où les astres, les étoiles, les signes et les repères s’estompent; conséquence directe d’un monde industrialisé en spotlight artificiel permanent. Ce sommeil, statique, élude tout rapport avec les textures rythmiques, périodiques et polyphasiques de la vie humaine, animale ou végétale. Il évoque un schéma arbitraire et immuable, hors d’expériences décousues ou cumulatives. Pas de temporalité lente. Peu d’imprévus. Un temps de sommeil qui opère un alignement sur l’existence de choses inanimées, inertes, intemporelles. Il offre «un monde sans ombre, où la fragilité revête de moins en moins d’importance.»1
La catastrophe de la navette challenger, une carence
de matelas. Everyman. überman. Macro sieste skipper.
Sleep–sheep–counting–sheep–to fall–asleep.
Logique on/off dépassée.
A l’abri des éclairages artificiels et sans contrainte de réveil, le sommeil de l’être humain se stabilise généralement sur un cycle inhabituel de nos jours, le sommeil biphasique. Deux périodes de sommeil sont ainsi entrecoupées d’une période de « dorveille ». Utilisé au moyen âge, ce terme évoque un état de semi-conscience, entre sommeil et éveil. Un état mental altéré, propice à la rêverie et à la divagation. Une temporalité non neutralisée. Un intervalle, où la distinction entre le fantastique et le familier n’opère pas.
T’as fatigué la salade, est dédié à cet espace-temps intermédiaire. Les robes de chambre sont réversibles. Ni totalement conçues pour le sommeil, ni totalement conçues pour l’état d’éveil, elles sont propices à différents états de conscience. Sommeils légers, paradoxal, du matin, du soir, de l’après-midi, elles ouvrent un interstice et des potentiels multiples.
Les contenants en céramique sont également réversibles, oscillant entre fonctionnalités suggérées et sculpturalité immobile. Evoquant les étapes et rythmes qui traversent tout cycle; leurs formes permettent une utilisation sur plusieurs niveaux. Chaque pièce, élaborée selon différents procédés qui alternent moments de repos, d’attente ou d’action, est ainsi le résultat de temps à géométries variables. Traces, craquelures de l’émail, salissures de pigments, eau qui stagne, résidu qui colle; à l’image d’une vaisselle oubliée dans l’évier, ces contenants céramiques portent les marques des étapes successives par lesquels ils sont passés. Non uniformisés, ils présentent une vulnérabilité revendiquée.
Dans l’épaisseur touffue du sommeil, do computers dream of electric sleep?
Epaisseur XXL de l’ignorance. Grasse matinée.
Gras » du latin « crassus », signifie « épais ».
Le tonus musculaire enlace du néant.
Les dessins «silhouettes» ou suspensions pour vêtements, forment des apparitions fugitives. Bois de forêt, sein endormi, langue pendante, ils s’allongent et se rétractent selon l’envie. Accueillant des visions et des spectres en constante évolutions, ils permettent une divagation à jamais décloisonnée.
Résultat d’une attention prolongée aux traces et détails qui émergent tout au long du processus de création, T’as fatigué la salade, reste en état de prototype permanent revendiqué. Entremêlant travail de la main et procédés industriels, chaque objet est une anomalie, émancipé d’une redondance statique.
T’as fatigué la salade, est dédié aux oscillations rythmiques de la lumière, du soleil et de l’obscurité, de l’activité et du repos, du travail et de la récupération. Non identiques, non neutralisés; des temps longs et incertains s’inscrivent dans l’apparence finale de ce projet. Se réveiller face à une platitude et uniformisation rampante serait-ce finalement dormir?
Si un malotru empêche une méduse de dormir la nuit, elle somnole le jour.
Dehors, il y a le silence de tout cela.
1.Crary, Jonathan, 24/7: Late Capitalism and the Ends of Sleep. Verso, 2014.
Special thanks: Laure Aubert (model), Jennifer Niederhauser-Schlup (photographic credits), Christina Papadopoulou and Viki Topalidou from studio 3someceramics